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On connaît les relations compliquées que les auteurs de polars entretiennent avec Hollywood. Raymond Chandler et le fiasco du Grand Sommeil, Dashiell Hammett et ses adaptations foirées... David Goodis incarne encore mieux les rapports contrariés entre La Mecque du 7ème Art et les soutiers du noir. Nightfall (1957), chef-d’œuvre de Jacques Tourneur qui réapparaît en DVD, a mis dix ans à se concrétiser. Une décennie durant laquelle les scénaristes (surtout le génial Stirling Silliphant) se sont heurtés à toutes les difficultés que l’on peut rencontrer sur une adaptation. Avec ses personnages apathiques, ses pages fulgurantes sur l’alcool et le destin, son hypersensibilité, Goodis ne taillait pas ses romans pour l’écran. Pire, il se foutait royalement de ses histoires et du « McGuffin ». Ce qui l’intéressait, c’était de regarder les hommes tomber et d’autopsier cette chute dans une prose quasi expérimentale (la logorrhée de Cassidy’s Girl).Goodis était plus proche de Burroughs que de la Série noire. C’est pour ça qu’Hollywood n’a jamais vraiment réussi à le récupérer (Nightfall est l’exception qui confirme la règle). Pour ça aussi que les seuls cinéastes à avoir saisi l’ADN de ses romans furent les petits génies de la Nouvelle Vague (Truffaut avec Tirez sur le pianiste) ou les bannis d’Hollywood (Fuller dans Sans espoir de retour). Si Tourneur fut le seul « hollywoodien » à traduire son univers, c’est peut-être parce que, comme dans les romans de Goodis, le magnétisme presque somnambulique des films du cinéaste découle de sa capacité à créer une terreur feutrée et du fait qu’il refuse de donner les clés de ses héros, dont les conflits intérieurs demeurent obstinément cachés. Le long décryptage de Nightfall qu’offre Philippe Garnier dans le livre qui accompagne cette édition vaut à lui seul le détour.Gaël Golhen